Nos mères. Nos mères sont souvent nos exemples, nos inspirations. Chacune a son parcours, unique. On peut vouloir le suivre ou le dépasser. Elles nous poussent à toujours tirer plus loin. Pour nous et pour elles.
Et depuis quelques années, il y a des questions qui se cachent dans un petit coin de ma tête. Je n’ose pas toujours y répondre, je n’ose parfois même pas y penser. Mais il est peut-être temps de mettre des mots dessus.
Devons-nous vraiment prendre exemple sur nos mères, suivre leur chemin ? Je m’explique. D’abord, quand je dis “nos mères” je parle des mères africaines de manière générale, d’éducation traditionnelle plus précisément.
“Les filles” , cette nouvelle génération de jeunes femmes, qui sont souvent allé plus loin dans les études que la génération précédente et qui de ce fait ne voient pas le monde de la même façon. Les filles qui grandissent dans un monde où l’information est disponible absolument partout. Des filles qui grandissent à l’ère de Chimamanda. Qui savent qu’il ne faut jamais se reposer sur un homme lorsque l’on prépare son avenir. Qui savent qu’elles peuvent tout entreprendre, que leur vie professionnelle peut être ce qu’elles désirent.
Certaines de nos mères avaient compris cela depuis bien longtemps, et l’ont appliqué. Mais aussi, beaucoup ont été écrasées par nos normes sociales.
Combien de femmes sénégalaises apprennent à leurs filles que le secret d’un bon mariage, c’est de “mougne” ? “Mougneul” est un terme Wolof, qui signifie dans l’idée “Tiens le coup, souffre en silence, continue à bien agir pour ton mari et Dieu te le rendra, si tu es déprimée, ne le fais pas savoir et reste forte”.
C’est en tout cas le message que l’on communique à beaucoup de jeunes filles dès l’enfance. Au Sénégal, lorsque certaines vont raconter à leurs familles qu’elles ont été trompées par leurs maris, qu’elles sont maltraitées, on leur dira “Mougneul”, pour préserver l’honneur paraît-il.
Et lorsqu’un homme ira voir sa famille pour leur raconter que sa femme le trompe, la réaction sera immédiate, “Il faut la répudier !”. Là aussi par honneur. C’est étrange comment même l’honneur a deux poids deux mesures n’est-ce pas ? L’honneur d’un homme serait donc plus important que celui d’une femme ?
J’ai aussi déjà entendu des mères conseiller à leurs filles de ne jamais rejeter un homme et de ne jamais complétement lui dire non, même si elles ne voulaient pas accepter d’avances. La raison ? “On ne sait jamais” “Il faut lui rester disponnible”. J’ai eu mal.
Mal que l’on veuille nous apprendre que nous ne devons rien refuser d’un homme, jamais totalement. Mal que l’on apprenne à beaucoup d’hommes que les tâches ménagères sont les responsabilités de leurs soeurs, et de leurs soeurs seulement. Que les soeurs doivent être rentrées chez elle avant le couché du soleil mais que les frères, et bien “se sont des garçons”. J’aurai mieux compris une société où l’on est stricte de manière générale, où garçons et filles partagent les règles ( Je sais que c’est le cas dans certaines familles,cependant ce n’est pas généralisé). Mais en plus d’être inégales, ces règles ne marchent pas.
On connait presque toutes une copine qui fuguait le soir pour aller tranquillement en soirée, si nous n’étions pas nous même cette copine. On apprend aux jeunes filles que si elles veulent être libres, alors cette liberté doit être volée. Il suffit de se promener de nuit dans Dakar pour voir que beaucoup sont prêtes à voler cette liberté. On leur apprend que la seule solution est de mentir, de se cacher, de chercher des excuses.
Ces dernières années à Dakar, ces filles qui se faufilent discrètement, pour aller rejoindre des garçons qui eux sont sortis tranquillement en empruntant la voiture de papa, sont devenues beaucoup plus nombreuses. Je pense que c’est le résultat d’une jeunesse qui se perd dans l’hypocrisie de ce pays. Et qui voit dans le ” mode de vie à l’occidentale”, ou en tout cas celui dépeint par Trace Tv, une échappatoire. Le résultat d’un profond manque de communication parents-enfants.
Tout cela m’a réellement frappé lorsque je suis tombée sur cette citation :
J’ai eu mal au coeur et je me suis arrêtée pendant cinq minutes. Je savais que cette phrase était vraie au Sénégal, et dans bien d’autres pays. Je le savais, je l’ai toujours su, mais je ne l’ai jamais exprimé, même pas à moi même. Nos mères sont coincées. Mon coeur s’est pincé en le réalisant. Et je me suis dit que je ne voulais pas Être exactement ma chère mère.
Evidemment, je l’aime du fond de mon coeur et la respecte plus que tout au monde. J’ai vu ses efforts pour sortir du système patriarchal. Ma mère m’a toujours appris à être indépendante. A mon âge, elle a fait passer ses études avant tout. Et sa vie professionnelle est mon plus bel exemple. C’est une femme forte qui ne dépend que d’elle même et qui s’est construire par le travail, l’effort.
Mais à chaque rassemblement familial, quand je m’active avec mes tantes et ma mère à faire à manger, servir à boire, pendant que j’entends les hommes rire dans le salon, je me demande si ma vie sera ainsi plus tard. Si au fond, mon rôle dans le foyer ne reviendra pas finalement à cela. Souvent, lorsque l’on “laisse” une femme africaine travailler, lorsque l’on accepte qu’elle soit “indépendante”, cela ne veut pas dire qu’elle ne doit pas prendre en charge les “tâches” qui sont les siennes.
Cela signifie simplement qu’en plus de son “rôle de femme”, on accepte qu’elle travaille, tant qu’elle continue de se conformer aux normes sociales. Elle cumule, elle met la barre plus haut, elle assume les deux rôles à la fois. Le premier rôle est toujours là. Elle travaille, mais l’éducation des enfants lui revient tout de même, et tout le reste aussi.
Croyez moi, j’aime nos traditions, j’aime les mettre en valeur et certaines doivent être redorées. Mais devons nous toutes les conserver, les yeux fermés ? Devons nous simplement dire oui aux conseils de nos tantes et les transmettre à nos filles ? Les traditions sont le reflet de l’état d’une société. Et j’espère que nous ne resterons pas toujours figés dans le même état.
Enfin, je ne sais pas si plus tard je réussirai à sortir de ce schéma. Je ne sais pas si je le voudrai. Je ne sais pas si j’aurai la force d’affronter ma société en mettant mes conditions sur la table. Mais je ne sais pas non plus si je serai heureuse en endossant pleinement tous ces rôles à la fois, que l’on semble poser un par un sur mon dos sans que je ne m’en rende compte. J’espère ne pas me retrouver piégée. Surtout, j’espère pouvoir apporter ma pierre. J’espère que ma fille, inshaaAllah, comprendra mes efforts comme je comprends ceux de ma mère, mais qu’elle voudra aller plus loin.
J’espère que nous ferons mieux que nos mères, j’espère que nos filles iront plus loins que nous.
***** Mood du jour *****
J’ai écris cette article en écoutant ” All that you have is your soul” de Tracy Chapman. C’est ma mère qui m’a fait aimer Tracy Chapman. L’une des superbes choses qu’elle m’a transmise.
Dans cette chanson, Tracy nous parle des conseils que lui a donné sa propre mère, à propos de la vie, des hommes.
Sa mère lui demande de ne pas reproduire ses erreurs.
Et c’est tout simplement beau.
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