“Ah, donc tu es une immigrée ?” me demandait un français il y a deux ans. Petit sursaut. Je réponds ” Heu, je ne sais pas, je suis étudiante en tout cas”.
Pourquoi ce recul ? Pourquoi me semblait -il que ce mot ne me correspondait pas ? Je me suis dit que c’ était peut-être parce que pour moi cette question n’avait pas à être posée, je n’avais pas à être cataloguée. Je trouvais aussi, qu’au fond, « immigré », ça a un air « définitif ». Je me considère plus comme « de passage ».
Je me suis dit que c’était une question de définition. Donc je suis allé voir la définition officielle du mot « Immigré », selon le Haut Conseil de l’Intégration ( je ne savais même pas que ce truc existait, merci Google) « un immigré est une personne née étrangère à l’étranger et résidant en France ».
Née étrangère : check. A l’étranger : check. Résidante en France : check. Il n’y a pas de précision par rapport à la durée du séjour, et j’avais bien un titre de séjour, j’étais donc résidente.
Donc bon, la définition est bonne. Alors oui, peut-être que cela me dérangeait parce que pour moi, dans mon imaginaire, un immigré reste en France définitivement, ou très longtemps.
Mais au fond, en étant honnête avec moi-même et en creusant un peu plus, la vérité est que je m’étais simplement laissé prendre dans cette description que les média font des immigrés. Quand on disait « immigré », mon esprit pensait aussi « bateau » « Lampedusa » « illégalité » ou alors « Château Rouge » « Désordre » « Indiscipline ».
Cela me rappelle d’ailleurs ma rentrée à Sciences Po. « Ah mais t’es venue comment depuis Dakar ? En bateau, genre une pirogue ? ». Le plus drôle, c’est que la jeune fille m’ayant posé la question connaissait plutôt bien l’Afrique, plus que la plus part des français. Elle s’est d’ailleurs immédiatement rattrapé devant mon regard et ma moue qui disait « Girl, reallyyyy ? For real ? ». Peut-être qu’elle aussi avait juste regardé le Journal un peu trop souvent, oubliant sa propre expérience.
Et finalement, ce jour où l’on m’a demandé si j’étais immigrée, et où mon inconscient a cru entendre une fois de plus « ah mais t’es venue en bateau ? », je suis tombé bas. Je suis tombé dans les généralités, dans le jeu de beaucoup de média, qui avait finalement commencé à changer la vision que j’avais moi-même de mes propres frères et sœurs. Il n’y avait aucun mal à dire que oui, j’étais sénégalaise et immigrée en France. J’aurai pu ajouter par la suite que j’étais étudiante et comptais rentrer chez moi par la suite. Mais je sentais le besoin de rejeter ce mot, cette qualification, et c’est dommage. Je me sentais obligée de me détacher de tout ce qu’il englobait aux yeux des français, alors que pourtant je défends certaines valeurs et je suis contre les clichés. But still, ces clichés, je les portais en moi, contre moi-même, inconsciemment.
« Immigré », en 2017, c’est pas Glamour. C’est pas un « expatrié », un « expat »( parce qu’eux ils ont même le droit à de petits surnoms mignons) ça a limite l’air sexy non ? On imagine un blanc, bronzer sur les plages de Dakar, et puis rentrer dans sa belle maison, avec sa femme, peut être institutrice, et ses beaux enfants, inscrits au lycée français.
« Immigré », de nos jours, pour beaucoup, c’est censé être honteux. Je voyais il y a quelques jours, sur une discussion Facebook, une jeune française, partisante FN ayant vécu à Dakar, défendant Marine Le Pen. Ses anciennes « amies », de Dakar, choquées, lui font remarquer qu’elle était une immigrée, au Sénégal. La jeune femme s’offusque, elle se sent insultée « Mais c’est faux ! J’étais une expat ! ». Plus bas dans la discussion, elle explique que les immigrés en France ne sont bons qu’à nettoyer des toilettes, passer le balai, etc. Elle explique que la France s’en sortirait très bien sans eux, mais que les expatriés eux, sont nécessaires en Afrique. Elle explique que nous ne serions rien sans eux.
J’ai eu mal. Et je me suis dit, à moi-même « Je suis une immigrée ». Pour 3 ans, 5 ans, 10 ans, whatever. Je suis une immigrée. Et j’essaye de me le dire souvent cette année, de me faire à l’idée, parce que ce n’est pas une honte.
J’ai quitté mon pays à la recherche de la connaissance, j’ai quitté mon pays pour chercher l’expérience, pour évoluer d’un point de vue personnel, et j’en suis fière, parce que c’est un sacrifice.
Je suis fière de toutes ces femmes, et tous ces hommes, qui ont quitté le pays pour donner un meilleur avenir à leurs enfants, pour avoir de quoi subvenir aux besoins de leur famille. On ne leur a rien donné gratuitement.
Evidemment, si je pouvais empêcher tant de jeunes de monter dans des pirogues pour tenter de rejoindre ce qu’ils pensent naïvement être un Eldorado, je le ferai. Oh Dieu ce que j’aimerais le faire. Ce que j’aimerais leur demander de rester. Mais je ne vais pas pour autant tourner en ridicule ceux qui, tant bien que mal, survivent en Europe. Et qui suis-je pour leur demander de rester, moi qui suis venue, même si c’est pour étudier ?
Je ne vais pas non plus tomber dans les clichés. Nous sommes multiples. Nous ne sommes pas une image à la télévision, ou un reportage de M6. Je suis entourée d’immigrés africains, d’origines multiples, étudiants dans des grandes écoles, des universités, d’autres ayant d’excellentes positions dans certaines entreprises, d’autres lançant leur propre projets. Je suis entourée de plusieurs réalités, et chacune a sa place.
Alors, depuis bientôt plus d’un an, je ne regarde plus le journal français. C’était une de mes résolutions de troisième année : m’éloigner des média. Enfin, j’ai quand même regardé le journal deux fois : une première fois au 1er tour de la présidentielle, une dernière fois au moment des résultats du second tour.
Ce recul a été une de mes plus belles résolutions.
Je réfléchis mieux, et d’ailleurs c’est en m’éloignant un peu des média que j’ai pu me rendre compte que leur dépiction de l’immigré commençait à pénétrer mon esprit. L’image que j’avais de Moi changeait.
J’ai dit « Stop » un jour où trop d’informations de clichés s’accumulaient. Je venais de rentrer à Dakar, pendant les vacances d’été.
Contexte : mes parents regardent le journal, zappent sur France 24. Et là, j’entends des mots, je les compte. Les mots islam/islamiste/radicalisation mais aussi immigré/bateau/violence se sont succédés dans plusieurs parties du journal, sur plusieurs sujets différents.
Il y a eu environs 12 références à l’islam et aux mots islamiste/radicalisés dans ce journal. Je me suis sentie étouffer. Une envie de vomir. Je réalisais que même chez moi, même dans mon salon à Dakar, les clichés trouvaient le moyen de me trouver, de me pointer du doigt « Hé, toi, la femme noire musulmane immigrée, regarde ». Et j’ai décidé qu’il était temps de prendre du recul.
Je suis un peu les nouvelles en regardant mon fil d’actualité sur facebook. Les discussions des étudiants de Sciences Po m’apportent toujours plus d’informations que nécessaire. Parfois beaucouuup trop aussi. Mais au moins là je me sens Maître de ce que je vois. En lisant, j’ai le temps de mieux réfléchir, je choisis. Je suis plus posée. Je n’avais plus cette impression en regardant le journal. J’avais l’impression de simplement subir.
Mon esprit est plus clair, et le mot « Immigré » perd enfin cette connotation négative dans mon esprit. Je le vois pour ce qu’il est, avec toutes ses réalités, toutes ses possibilités, sa complexité. Oui, en l’entendant je pense Difficulté, Peine, Rejet, Obstacles, et pas mal de défauts. Mais désormais, je pense aussi Humain, Force, Détermination, Travail, Futur, Combat. Je pense aussi Jeunesse. Je pense Excellence. C’est à nous, nous qui avons la chance d’avoir eu une immigration relativement « facile », de choisir la connotation que nous donnerons à ce mot, dans nos conversations de tous les jours, et surtout dans nos esprits.
Quant à moi, je suis une immigrée. Et je compte bien viser l’Excellence désormais. Je ne tiens dans aucune boite, dans aucun cliché, mais je suis bien une Représentation, que je le veuille ou pas. Alors autant le vouloir, et autant briller.
Dédicace à tous ces gens dans le métro qui me lançait des regards étonnés en me voyant avec mon pull « Sciences Po », ma peau noire, et mon foulard. Dédicace à tous ceux qui m’ont dit « Mais waouh, tu parles aussi bien français après une année en France ? Tu es vraiment une surdouée ». Dédicace aux « Mais comment ça se fait que tu sois à Sciences Po ? ». Dédicace aux « Mais genre Sciences Po Paris ? T’es sûre ? Tu n’as pas fait de Lycée Français aussi ? Tu es vraiment sénégalaise ?».
Dédicace à tous ces clichés que l’on détruit chaque jour. Nous, immigrés.
*** Mood du Jour ***
Aujourd’hui encore, Daby Balde, cette merveille du Sénégal. Pas grand chose en lien avec l’article, simplement une belle mélodie.
Il fait beau ici, il était temps, l’Angleterre avait du retard. La troisième année ( mon année d’echange en Angleterre) tire à sa fin, et je profite des moments de calme, je me laisse aller avec Daby.
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