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Photo du rédacteurSama Queendom

“Après tout ce que tu dois à la France ?”

Parmi les différentes questions que j’ai reçu ces dernières années et surtout parmi les quelques-unes traitées sur ce blog, la plus part me font toujours rire. Un petit rire du type « Ah si tu savais… ».

Mais cette question-là est l’une des rares qui ne me fait pas rire.

En fait, beaucoup de questions sont compréhensibles, elles sont le résultat de l’ignorance par rapport à certains sujets. Il est compréhensible que, lorsque des gens ne vivent pas une situation X, ils aient besoin de s’informer, même si c’est souvent maladroit.

Mais là, c’est bien plus que cela. Pour comprendre, analysons un peu cette jolie question.

La personne qui vous la posera sera sûrement française et très probablement blanche non-racisée.

Et si l’on vous pose cette question, vous êtes sûrement soit immigré en France ( que cela soit à court terme ou pas), soit descendant d’immigrés. En tout cas c’est ce que vous représentez aux yeux de votre interlocuteur, souvent pas plus que ça. Dans cet article, je vais principalement considérer le premier cas, car étant le mien : étudiante en France.

Et qu’avez-vous donc osé dire pour entendre une telle question ? Sûrement avez-vous émis une critique quelconque à l’égard deJ la France. Ou alors vous avez fait comprendre à votre interlocuteur que vous ne vous sentiez pas bien en France. Bref, sacrilège, vous avez dit ce que vous pensiez. Offusqué, votre interlocuteur ne comprend pas « Bon Dieu, comment osez-vous vivre dans un pays et le critiquer ? ».

Selon moi, le problème avec ce type de raisonnement porte principalement sur deux points.

Le premier point est que, la question présume que l’on « doit » des choses à la France. Il y a une différence entre être responsable de son choix de vivre dans un pays X, comprendre que c’est une opportunité, et vivre aux dépends de ce pays. Personnellement je me sens responsable de mon choix concernant mes études à l’étranger. Mais pas « Redevable ».

Car je suis aussi consciente de toutes les épreuves, jour après jour. D’ailleurs, depuis quelques temps, j’ai découvert quelque chose : je fais un blocage total au mot «Visa». Le mentionner suffit désormais pour me décourager de tout voyage, ou pour au moins m’arracher un long soupir. Je refuse d’en parler.

L’on s’imagine tous les papiers, tout l’argent dépensé. L’on se revoit traverser toute cette petite entreprise de dissuasion et d’humiliation. L’on dépense pour le visa, l’OFII, l’université. L’on harcèle de mails, pour « espérer » avoir le Saint Graal, le Visa. Donc au fond, n’est pas tant l’argent, mais l’énergie. L’on s’épuise mentalement, on a l’impression que tout le système veut nous signifier que notre place n’est pas là. Et chaque année le processus recommence. Ce n’est pas comme si vous étiez tranquillement assis dans votre salon à attendre que la France vous donne un visa, un diplôme, de quoi manger et vivre de manière générale. Non. Beaucoup se battent, tous les jours, pour avoir une éducation.

Alors oui, je suis reconnaissante pour avoir accès à un tel système éducatif. Reconnaissante, mais pas Redevable. Je n’ai pas l’impression d’avoir une dette à payer, car il n’y a eu aucun don. Pour beaucoup d’étudiants, si l’on calcule strictement en terme d’argent, l’on investit même bien plus dans l’économie française qu’un étudiant moyen de notre âge. Donc même s’il s’agissait d’une « dette », nous l’aurions déjà payé.

Le deuxième point, qui est pour moi le plus important, est que la question suppose que l’on ne devrait pas critiquer un pays qui nous donne certaines opportunités. Personnellement, cet « argument » me parait illogique. Sous prétexte de vivre dans un pays, l’on devrait taire ses vices ? Pourquoi devrions-nous êtres bâillonnés, tenus au silence ? Les européens que je connais, vivant en Afrique, s’attristent bien de certains systèmes politiques, ils donnent leur avis. Et donc moi, pauvre petite africaine sauvée par l’Europe, je devrai accepter le cadeau que l’on me fait, et rester dans mon coin ?

L’on peut discuter, dans le respect, de tous les pays. Surtout de celui dans lequel on est résident. Et surtout si c’est pour parler des choses que l’on vit au quotidien, parler des comportements qui nous touchent. L’on m’a dit que je ne pouvais pas parler du racisme d’Etat parce que la France m’avait «beaucoup offert». Mais qui donc doit en parler ? Ceux qui ne le subissent pas ?

C’est pour moi simplement une façon de refuser de voir les choses en face. Taire les problèmes d’un pays dans lequel on vit, le laisser se perdre, le voir plonger et ne rien dire : là est le vrai problème, l’hypocrisie. Il faut savoir parler de ce qui ne va pas. Il ne s’agit pas de victimisation, il ne s’agit pas de simplement se plaindre et demander de l’aide. Il s’agit de faire entendre une voix, montrer que l’on a le droit de s’exprimer, de nous-mêmes prendre la parole, face aux bêtises que débitent beaucoup de média.

Je ne veux pas être mise dans la case « ingrate » parce que je souhaite débattre de ma place dans la société française, parce que je souhaite une discussion saine. Je ne comprends pas pourquoi il faudrait rester spectateur muet. Cela ne sert pas la France, au contraire.

Evidemment, les insultes ne servent à rien et sont à condamner. Mais une critique constructive, basée sur une expérience personnelle ou sur des observations, est toujours bonne à prendre.

Le plus étrange, c’est que l’on m’a déjà posé cette question à Sciences Po, censé être l’Etablissement par Excellence lorsqu’il s’agit d’esprit critique et de discussion rationnelle. Mais après quelques années, l’on comprend bien que certains parmi ceux qualifiés d’ « Elites de la Nation » ne sont pas les champions de l’ouverture d’esprit.

Alors non, je ne pense pas devoir à la France quoi que ce soit. Et oui, je pense avoir le droit de donner mon avis dans le respect, sans avoir droit à des regards lourds de sens, encore moins à une question pareille.

Je suis un Être Humain, j’ai un avis. Et le fait d’étudier en Europe ne m’a pas ôté mon avis ou mon esprit critique.

   *** Mood du Jour***

Article écrit en dégustant une barre de chocolat, bercée par Lauryn Hill.

Et aujourd’hui, pas besoin d’explications. Tout simplement parce que c’est Lauryn. Ce qui est bien avec elle, c’est que l’on a pas besoin de parler.

Il suffit d’écouter.


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